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« Les jeux sont faits »

 

Article sur « Rester vivant », exposition « sur » et « par » Michel Houellebecq,

tenue au Palais de Tokyo (du 23/06/16 au 11/09/16).

Commissaire d’exposition : Jean de Loisy.

Il fallait bien le Palais de Tokyo pour laisser à Michel Houellebecq libre court à son vaste projet d’exposition. Un espace suffisamment grand et prêt à donner carte blanche à l’artiste qui n’en fait toujours qu’à sa tête. Car « Rester vivant », c’est du Houellebecq dans le texte, revu et corrigé par Michel. Du Houellebecq à toutes les sauces.

Encore et toujours, l’artiste propose – avec l’ironie et le flegme qui lui sont propres – une énième plongée dans le gouffre humain. Celui du monde, des autres, et puis, bien sûr, le sien propre. Et dans ce choc semble se trouver l’acte sauveur : la tentative de rester en vie, malgré le tragique qui nous plombe en même temps qu’il nous grise. Cette sempiternelle angoisse aurait-elle enfin droit à un début de réponse ?

Le tragique, voici qu’on le déterre partout et qu’on le décortique à tour de bras. Dans un néon qui clignote ; dans un assemblage de canettes de Coca autour d’un crâne ; dans la décomposition froide et méthodique des éléments chimiques qui composent l’être humain ; dans l’amoncellement d’objets kitschissimes ; dans la suite recherchée des images, des vidéos et des textes, etc. Houellebecq s’expose et décompose le réel par le jeu du détournement. 

© @smile.dontsmile

D’ailleurs, l’artiste rappelle qu’il n’est pas seulement un auteur controversé – et médiatisé presque malgré lui –, mais aussi un photographe. Avec ses images qui ouvrent la première partie de l’exposition, Houellebecq brouille les pistes mais assoit la dynamique du parcours. « Faites vos jeux » : nous demande-t-il dès l’entrée, ordre qui entre étrangement en écho avec l’inscription de l’antique temple de Delphes[1].

 

[1] « Gnothi seauton » (Γνῶθι σεαυτόν) : « Connais-toi toi-même ».

Le chemin d’introspection qui nous est présenté, malgré quelques facilités et redondances, s’éloigne des sentiers battus pour exprimer de manière personnelle et originale une angoisse universelle. Houellebecq bombarde le curieux d’éléments divers – de protocoles scientifiques à l’accumulation d’objets kitsch qui mériteraient une analyse à eux seuls, en passant par des notes de travail –, et sculpte le parcours de manière singulière. 

© Lola Salem

La longue traversée se modèle par l’entremêlement de supports questionnant sans relâche la valeur de notre monde et de l’individu, fracassé contre une société qui tente de le formater ou l’abandonne. « Pris dans son ensemble, le monde fonctionne dans un silence terrible ; il exprime son essence par la forme et le mouvement. »[1]

Et en se laissant guider par cette douce ironie, voici que nous entrons dans un véritable fumoir, lieu à la fois banal et presque mystique recomposé à la manière d’une pièce archéologique. Dans l’égarement salvateur auquel nous sommes convié-e-s, ce recoin issu du cerveau de l’artiste est telle une clef de lecture indispensable de la pensée de Houellebecq. « Il est bien difficile de comprendre les autres, de savoir ce qui se cache au fond de leurs cœurs, et sans l’assistance de l’alcool on n’y parviendrait peut-être même pas du tout. »[2] Ainsi, « l’alcool sera difficile à éviter. En fin de compte l’amertume et l’aigreur seront au bout du chemin, vite suivies par l’apathie, et la stérilité créatrice complète. »[3]

 

[1] Michel Houellebecq, « Le regard perdu : éloge du cinéma muet » in Rester vivant et autres textes.

[2] Michel Houellebecq, Soumission, Paris : Flammarion, 2015, p. 161.

[3] Michel Houellebecq, Rester vivant, Paris : Flammarion, 2010.

      Pourtant, le parcours est bien loin d’aboutir à l’anéantissement total. Au contraire, froideur, distance ironique et dépression fataliste laissent transparaître une formidable énergie créatrice qui croît en puissance. Cet enrichissement tient en partie à l’invitation à contribution faite à d’autres artistes : Raphaël Sohier, Renaud Marchand, Maurice Renoma et Robert Combas. Ce dernier propose une série de tableaux magnifiques – s’inspirant des poèmes de l’auteur –, qui sont exposés autour d’une « pièce de vie » dont le bordel semble symboliser l’entropie créative de toute l’entreprise. 

La « pièce de vie » de Robert Combas © Lola Salem

« Rester vivant », vaste projet. Et voici que l’on retombe, en fin de parcours sur l’ordre originel : « Faites vos jeux ». Quel pari avons-nous fait, avons-nous tenu ? À quel hasard sont suspendus nos pas ? Michel est le démiurge impuissant et blasé d’un projet qui est le sien sans l’être tout à fait. Bluffant.

Informations pratiques  

(du 12 octobre au 18 décembre 2016), les espaces d'expositions sont exceptionnellement ouverts de midi à 20h (et non pas jusqu'à minuit), tous les jours sauf le mardi.

Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson 75116 Paris, Paris

Site : http://www.palaisdetokyo.com/fr

Lola Salem

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